La controverse sur le départ de Tribus du Cantal

L'ancien maire de Trizac a retrouvé au grenier de la mairie les anciens cahiers d'écoliers sur lesquels le maire notait les étrangers résidents, leur arrivée et leur départ.
Il fallait qu'il note la situation au jour de l'an et envoyait un état vers la fin du 1er trimestre.
Il y a une lettre que je n'ai pas vue où il se plaignait à la préfecture de ce travail laborieux de délivrance de cartes pour les étrangers.

Dans ces cahiers le maire note la présence permanente de Tribus à Trizac de 1935 à 1944 où Tribus a disparu mais il ne sait ni quand ni comment aussi il avoue son
ignorance en ce domaine en créant une ligne de départ vide. Les dates de 1943 et 1944 sont contradictoires avec ce que nous croyons savoir de l'arrivée de Tribus en Mayenne fin 1942 ou début 1943.

Ces cahiers nous apprennent différentes choses.
1) Dans le cahier de 1935 :
Nous apprenons :

Qu'il a un récépissé de demande de carte d'identité délivré à Paris le 21/3/1934
Qu'on lui délivre le Récipissé n°0008 puis le Nouveau récipissé n° 0012 délivré à Paris le 26/4/1935

page de gauche :
Qu'il s'appelle Guiseppe (et non Giuseppe) Tribus
Qu'il est né à Reviano (bravo! Ce n'est pas Raviano comme indiqué dans ses papiers)
Qu'il est de nationalité italienne


page de droite en vis à vis :
Qu'il est peintre décorateur donc artisan c'est à dire son propre patron et non simple ouvrier chez un patron
Qu'il  est arrivé à Trizac (Cantal) le 20 janvier 1935 en provenance de 25 rue du Terrage, Paris (X^e)
Qu'il travaille à Trizac chez M. Raymond Jean

D'ailleurs nous savons par le recensement de 1936 qu'il loge avec sa soi-disant épouse Jeanne Blangy à Trizac au 15 rue ou place Parjadis

2) Dans le cahier de 1937-38 :
Tribus est toujours noté comme artisan peintre italien avec Don Angelo qui est artisan plâtrier et qui fait les préparations et les moulures que Tribus peint ensuite.

3) Dans le cahier de 1939 :
Bizarrement Tribus n'est plus dans la liste des étrangers en règle
C'est cette année-là qu'il a été à la Font Sainte peindre le tableau qu'il a daté en chiffres romains du jour de la déclaration de guerre : le 3 septembre 1939!

4) Dans le cahier de 1940 :
On voit que Tribus est là au 1^er janvier 1940 mais on voit aussi que les comptes du maire sont corrigés sans cesse puisqu'il déclare 4 italiens mais finalement il en raye un qui est parti sans qu'il s'en soit rendu compte.


Les Allemands envahissent la France en juin 1940!

Les Italiens sont eux aussi internés, après l'entrée en guerre de l'Italie mussolinienne aux côtés de l'Allemagne, le 10 juin 1940. Comme pour les ressortissants du Reich, le gouvernement français ne tient compte ni de l'ancienneté de leur présence sur le sol français, ni de la teneur de leurs opinions politiques ou de leur militantisme antifasciste éventuel.

Anne Grynberg : 1939-1940 : l'internement en temps de guerre les politiques de la France et de la Grande-Bretagne - https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1997_num_54_1_3628

Tribus a sans doute été convoqué à Mauriac (Chef-lieu d'arrondissement) après le 10 juin pour signer le 15 juin 1940 sa "déclaration d'allégeance à la France" soit une semaine avant l'armistice du 22 juin 1940 avec l'Allemagne.

Le Cantal reste en ZONE LIBRE créée le 22 juin 1940 à l'Armistice.

Toutefois au 17 septembre 1940 l'exode a du faire venir beaucoup d'étrangers et le maire doit être perturbé par les événements et le changement de gouvernement du 16 juin 1940 avec l'arrivée de Pétain.
Tribus est noté présent à Trizac bien qu'il réside à Riom-ès-Montagnes !
Y-a-t-il des cahiers équivalents de déclaration d'étrangers à Riom-ès-montagnes?

5) Dans le cahier de 1941 :
Tribus est toujours recensé là parmi de nombreux autres :
Par ailleurs nous savons que Tribus a décoré la maison Tible à Lugarde et que malgré ce travail magnifique il n'a pu être payé car avec la guerre les gens n'avaient plus de ressources.
Si Tribus a une vraie commande qui l'attend à la Bazouge de Chemeré ne va-t-il pas penser à changer de région?
La famille de Tribus qui est sans doute entrée en France en 1919 pour s'installer dans le Sud-Ouest comme la France l'y invitait s'est elle fait naturaliser? Dans ce cas les frères de Tribus (âgés de moins de 40 ans) ont-ils été appelés dans l'armée française?
Tribus a-t-il encore un contact avec sa famile et ne va-t-il pas les rejoindre pour manger comme on ne le paye plus?


6) Dans le cahier de 1942 :


Alors la question est : Est-ce parce que c'est à Trizac qu'on lui a délivré sa carte d'étrangers qu'on le recense comme étranger à Trizac alors qu'on sait qu'il ne travaille plus à Trizac depuis longtemps mais à Riom-ès-montagnes, à Lugarde, à Marchastel. La différence entre le domicile et la résidence!...
Mais comment le maire peut-il savoir si Tribus est toujours là?

Et par hasard Tribus ne serait-il pas recensé comme étranger à Riom-ès-montagnes, à Lugarde, à Marchastel ? Il faudrait retrouver les cahiers d'étrangers de ces commune-là! Ils sont peut-être mieux renseignés sur les différentes localisations de Tribus et sur la date de son départ.
Tribus sans ressources n'essaye-t-il pas d'aller à la Bazouge de Chemeré ? Ou dans sa famille dans le Sud-Ouest de la France ?

Au printemps 1942 c'est le début de la construction du Mur de l'Atlantique. On vient proposer aux volontaires un bon salaire. Et aux français on raconte que c'est la Relève : en partant on fera revenir des prisonniers de guerre français au pays.
Tribus, qui parlait bien allemand, a pu bien discuter avec les recruteurs et ceux-ci ont bien compris l'intérêt de sa spécialité ?

L'invasion de la Zone libre le 11 novembre 1942 :
Le 11 novembre 1942, jour de célébration pour les Français, les Allemands envahissent la Zone Libre. Les Italiens font de même jusqu'à l'Est du Rhône. La Zone Libre s'appelle désormais la Zone Sud.


On sait que les Italiens sont amis avec les Allemands donc les ressortissants italiens ne devraient pas y être ennuyés! mais le Cantal n'est pas dans la zone occupée par les Italiens.
De plus Hitler a une fâcheuse tendance à remettre en question ce qui a été accordé en 1918-1919 :

• Ainsi les Alsaciens sont-ils considérés comme des Allemands et doivent se mettre au service du Reich
  
• Et les Trentins comme Tribus qui ne sont devenus italiens comme en 1919 ne sont-ils pas corvéables pour le Reich aux yeux de Allemands? Puisqu'en 1918 Le Tyrol Sud était autrichien (Autriche = patrie d'origine de Hitler)
  

Dans ce cas comme tout « allemand ou assimilé » il devrait être immédiatement envoyé chez TODT soit en Allemagne dans les usines, soit sur la zone militaire littorale du Mur de l'Atlantique ! Et vu sa spécialité du trompe l'oeil, il aurait été recruté pour le camouflage du Mur de l'Atlantique à St Nazaire où on a des exemples.

En France fin 1942 on cherche des volontaires pour le STO.

7) Dans le cahier de 1943 et 1944 :

Le 25 juillet 1943, les défaites de Mussolini entraînent son emprisonnement. Libéré par les Allemands il crée la « république de Salo » pour le Nord de l'Italie qui se trouve alors occupée par les Allemands. Les Allemands réclament maintenant en France les Italiens pour le STO mais ce n'est plus pour construire le Mur de l'Atlantique dans l'Ouest mais sur la Manche et le Pas de Calais jusqu'au débarquement du 6 juin 1944.

Il y a 28 étrangers ce qui fait beaucoup de travail pour tout vérifier et nous savons que Tribus ne réside plus à Trizac alors l'inscription du maire relative à la situation de Tribus n'est-elle pas une simple habitude de facilité ?

Et à la page suivante...

C'est cet aveu d'ignorance qui remet en question ses déclarations précédentes.

Tribus est-il encore présent depuis que les Allemands sont là ?
Des témoignages parlaient de disparition de Tribus après novembre 1942. Le maire de Trizac semble bien être le seul à le considérer comme présent.

Revenons fin 1942 à Trizac :

En septembre 1942 Laval établit la loi sur le STO qui est repoussée mais provoque certains tirages au sort dans les villages (comme la Bazouge de Chemeré) . En janvier 1943 on vient chercher les jeunes français nés en 1920, 21 et 22 pour partir au STO. Seuls les agriculteurs et les étudiants ont un sursis jusqu'en juillet 1943 mais les commis ou autres employés partent tout de suite. Comment ne pas imaginer que la population du Cantal ne signale pas Tribus, cet étranger, pour partir lui aussi au STO ?

Les habitants du Cantal prenaient Tribus pour un « allemand » et non pas pour un italien ; sans doute parce qu'à l'école de Reviano dans le Trentin (Tyrol autrichien avant 1919), en plus de la langue régionale italienne il fallait apprendre la langue administrative et la langue de commerce du vin produit par son père, à savoir l'allemand.
Cela aidera Tribus qui comprendra la langue allemande et pourra s'évader d'autant plus facilement ou bien à discuter avec les recruteurs du STO qui ont pu repérer ce spécialiste du trompe-l'oeil pour le Mur de l'Atlantique.

D'autre part il semble qu'il soit parti en catastrophe puisqu'il a laissé un tableau inachevé (vue de Riom-ès-Montagnes) promis au marchand de couleurs. Ceci plaide pour un recrutement forcé pour le STO et non pas pour aller honorer la commande reçue avant guerre de décorer le théâtre de la Bazouge de Chemeré. Et cela ne plaide pas non plus pour l'arrestation de Tribus sans le sou parti voir sa famille dans le Sud-Ouest et recruté de force pour le STO (Il se serait retrouvé à Bordeaux).

Revenons fin 1942 à La Bazouge de Chemeré (Mayenne) :

Quand Tribus a déboulé à la Bazouge de Chemeré avec une vingtaine de personnes évadés du mur de l'Atlantique (Base sous-marine de St Nazaire semble-t-il) et quand lui seul y est resté (d'après un témoignage) était-ce fin 1942 à la permission de Noël ou bien début 1943 mais alors bien plus difficile de s'évader.
On sait que les 2 tirés au sort en octobre 1942 de la Bazouge de Chemeré ne sont restés que 10 jours au STO à Lorient (Base sous-marine) car ils ont eu la permission de Noël où ils sont rentrés chez eux et ensuite se sont cachés.
Le témoin parle de l'époque du début des bombardements alliés ce qui correspond à fin 1942-début 1943 ; en particulier St-Nazaire les 9, 14, 17 et 18 novembre 1942, 228 morts et Rennes en mars 1943, 299 morts (Cf wiki).

Nous n'avons pas de preuves que l'abbé Polas ait pu passer commande à Tribus avant l'invasion de 1940, mais l'arrivée non fortuite de Tribus à la Bazouge de Chemeré qui doit se cacher des Allemands est un témoignage qui ne fait que renforcer cette supposition. Tribus devait avoir un contrat avec le vieux curé, car logeant dans l'école au vu et au su de tous les gamins et alors que des jeunes partaient en février 1943 au STO (le commis boulanger et le charron), personne ne l'a dénoncé. Quand les Allemands venaient, les témoignages disent qu'il se cachait sous la scène du théâtre.

Dommage que nous ne connaissions pas le texte de la pièce de Tribus où il parlait de "sa guerre", pièce qu'il a monté vers 1947 pour remercier les habitants de la Bazouge qu'il va quitter pour le Bourgneuf-la-forêt et où d'après un témoin il voulait faire jouer une colonne de soldats mais n'ayant qu'un seul fusil le premier acteur soldat traversait la scène le fusil à la main puis le fusil passait rapidement de main en main derrière le décor pour le soldat suivant.

L'abbé Polas est né le 18 mars 1870 (d'après le recensement de 1936). Il a donc 73 ans en 1943 et il est très malade.
Depuis 1940 à cause de sa maladie il est assisté par le jeune abbé Bondis. (archives épiscopales)

L'abbé Polas décédera en avril ou mai 1944. Cf la note de sépulture de la mairie approuvée plus tard par le préfet le 25 mai 1944

Comment l'abbé Polas aurait-il pu connaître Tribus ? Car il est né à Paris et sa famille a pu lui conseiller ce peintre-décorateur. Cf recensement 1936

Comment l'abbé Polas a-t-il pu contacter Tribus : les amis parisiens de Tribus ou Jeanne Blangy ont pu faire suivre le courrier à Trizac.

Le Théâtre a été construit environ 15 ans avant 1940 et l'abbé Polas malade a des économies pour se payer une belle décoration par un professionnel.

Même si Tribus est arrivé à la permission de Noël 1942 cela ne lui laisse pas le temps d'acheter des couleurs et de trouver l'inspiration. Il a donc peint le théâtre en 1943.
Puis comme à son habitude Tribus offre à son client l'abbé Polas une peinture représentant l'église avant l'incendie de 1926 parce que cela avait un sens pour ce dernier : il l'avait vue brûler !...

Cette peinture est datée 1943 en chiffre romain : MCMXXXXIII. Tribus hésite sur le XXX car il aurait du écrire MCMILIII.
On peut se demander s'il vouliat écrire 4 avec IIII au lieu de IV car le bord du tableau est rogné.
Tribus date rarement ses tableaux mais quand il le fait en chiffre romain c'est très important (3 septembre 1939 la déclaration de guerre)
aussi ce ne pourrait être juin 1944 pour le débarquement mais l'abbé Polas est déjà mort, c'est donc vraiment 1943 et il le date ainsi car il a échappé aux allemands (souvenir de sa jeunesse déplacée autrichienne en Bohême?)

A savoir que le charron Letessier a réclamé plus tard en échange de l'encadrement des tableaux de Tribus, lui aussi la peinture de l'église "d'avant 1926" parce que c'était celle de son baptême, de sa communion, de son mariage?. Cela avait là encore un sens pour lui.

Tandis que pour le jeune abbé Bondis l'église "ancienne" n'aurait eu aucun sens, donc le tableau a bien été offert à l'abbé Polas un peu avant sa mort.

La bibliothécaire de Riom-ès-montagnes a rencontré une personne possédant un lit d'enfant décoré par Tribus.
Cet enfant est né en décembre 1943.

Sa mère a donc préparé la chambre d'enfant disons au 3ème mois de grossesse c'est à dire en mai-juin 1943 et Tribus l'aurait peint et serait parti après.

Cet enfant n'a t il pas un cousin ou une cousine né deux ans avant? Et sa mère aurait récupéré ce lit de sa soeur ou belle-soeur?



Car plus Tribus part tardivement du Cantal et plus il risque de se retrouver sur le mur de la Manche plutôt que sur le mur de l'Atlantique?
D'autant plus que le témoin mayennais dit qu'il est arrivé à la reprise des bombardements alliés. Or les anglais en ont fini avec le Blitz mi 1941 et puis ils ont commencé à bombarder les bases d'U-Boot fin 1942 début 1943.



Le mur de l'Atlantique Ouest et ses bases sous marines de St Nazaire, Lorient, Bordeaux, La Rochelle, Brest sont construites dès 1941.
La ville de Lorient est détruite en janvier-février 1943 à cause des bombardements alliés.
La base de St Nazaire est construite de janvier 1941 à juin 1942 (opérationnelle) puis on construit des annexes jusqu'en décembre 1943. Et le centre de St Nazaire est détruit en 1943.

Quant au camouflage dans la poche de st Nazaire :

Le grand blockhaus camouflé de Batz sur mer

La construction du bunker de type S 414 a commencé en octobre 1942 pour s'achever en février 1943, elle a nécessité 1800 m3 de béton pour 285 m2. La construction fait 25 mètres de long pour 17 mètres de haut et est occupé par 21 militaires et 3 officiers. Sa mission est de contrôler les tirs des canons et de contrôler le trafic maritime, la U-Bootbunker de Saint Nazaire étant à proximité.

Si Tribus est recruté pour les trompe l'oeil c'est en fin d'année 1942-début 1943!

Si Tribus quitte le Cantal seulement vers la mi 1943 il risquerait de se retrouver sur le Mur de l'Atlantique Nord (Normandie, Pas de Calais) car la base de St Nazaire est terminée et la pression se fait plutôt sur la Manche.