Tribus dans les revues des Pays de Loire : 303 et l'Oribus

Jean-Louis Cerisier a écrit:

GIUSEPPE TRIBUS: DES DECORS POUR LE THEATRE POPULAIRE

La tradition du théâtre populaire en Mayenne semble remonter au Moyen Age. Les miracles et les mystères mettant en scène la vie d’un Saint et celle du Christ avaient pour but de faire connaître à un vaste public en partie ignorant les principaux faits de l’histoire religieuse de manière attrayante voire ludique. D’où le recours à une mise en scène somptueuse et habile (machinerie, cortège, fêtes...) et à l’intervention du merveilleux chrétien (prodiges divins, diaboliques et magiques).

Cette tradition du théâtre populaire, nous la retrouvons au XXe siècle en Mayenne grâce à l’impulsion des patronages relayés dans les années 1970 par les associations. En droite ligne avec le théâtre du Moyen Age on trouve les passions (dont la plus célèbre en Mayenne montée par l’abbé André fut jouée de 1950 à 1968 au Bourgneuf-la Foret) ainsi que les fresques historiques qui ont en commun avec les spectacles médiévaux une large place accordée au légendaire et au merveilleux. Ainsi dans les années 50/60 les spectacles consacrés à Jean Chouan (monté par l’abbé Menon à Olivet) et à Rouget le Braconnier (à Izé) étaient destinés à entretenir le mythe du héros populaire des campagnes.(1)

Les décors de la Passion du Bourgneuf-la–Foret et les fresques historiques consacrées à Jean Chouan et à Rouget ont été peintes par Giuseppe TRIBUS, (2) réfugié originaire du Tyrol italien qui a échoué en Mayenne pendant la seconde Guerre mondiale. Il y a vécu jusqu’à la fin des années 50. Là il a mené une existence vagabonde, se transportant au gré des rencontres et des travaux d’un village à l’autre. Il a séjourné à La Bazouge-de-Chemeré, Izé, Bais, Le Bourgneuf-la-Forêt et occasionnellement à Vaiges, Champgénéteux, Olivet, Saint Ouen-des-Toits. (3)

Personnage solitaire, il menait une vie précaire sans souci du lendemain, mais savait aussi entretenir des relations chaleureuses avec les gens. (4)

En Mayenne, TRIBUS a mis à profit ses talents de décorateur et de peintre de trompe-l-œil, savoir faire acquis dans sa région de naissance en Italie du Nord où existe une tradition très ancienne dans ce domaine. (5)
L’art de TRIBUS comporte de nombreuses facettes : décors de théâtre (6), façades de maisons, décoration intérieure (trompe-l-œil, motifs floraux, fresques etc), enseignes de magasins, publicité peintes sur des véhicules, portraits, peintures sur commandes, restauration d’œuvres (7).
Ses toiles de fond de scène pour la Passion du Christ du Bourgneuf-la-Forêt montrent le grand art du peintre dans le domaine de la composition, de la perspective, de l’agencement des couleurs et rendent compte de son imagination débordante. Son décor d’avant-scène pour le théâtre de La Bazouge-de –Chemeré, hommage rendu à la tradition oratoire antique est une merveille de finesse et d’équilibre et on ne se lasse pas d’en scruter les détails d’où la vie surgit d’objets et de personnages tour à tour inquiétants et malicieux . Les autres décors peints par TRIBUS à Izé (ROUGET le Braconnier) et à Olivet (Jean Chouan) ont disparu.
Avec Tribus la Mayenne des campagnes a bénéficié d’un apport artistique vivifiant et exotique. Il suffit pour s’en convaincre de constater à quel point le souvenir du peintre est présent dans la mémoire des gens un peu partout dans le département. Giuseppe TRIBUS deviendrait il lui aussi un héros populaire en Mayenne ?

Notes

(1) Jean Chouan et Rouget avaient en commun une activité économique illicite (trafic de sel et braconnage) ; la légende a fait d’eux des résistants face à l’ordre établi et par extension des héros populaires des campagnes tenant tête aux représentants du pouvoir central.
(2)Cf JL CERISIER « les cafés décorés dans la campagne mayennaise » in 303, Art, recherches et création n°46

(3) TRIBUS a ensuite vécu en Bretagne. Il est mort en 1960 à Mordelles (Ille et Vilaine).

(4) Les témoignages que j’ai recueillis sur TRIBUS le présentent comme un homme cultivé et fantasque. Il fréquentait assidûment les cafés et travaillait essentiellement la nuit. Il vivait semble-t-il dans le mépris des contraintes matérielles.

(5) Ce savoir-faire bien connu dans le Sud-Est de la France en particulier dans la région niçoise, où des peintres italiens ont été employés pour la décoration des églises, est parvenu jusqu’en Anjou cf Orain Véronique «Les savants crayons d’un talent d’Italie à Aubigné Briand»  in 303 Arts, recherches et créations n°24.

(6) TRIBUS était un passionné de théâtre ; il allait jusqu’à donner des conseils de mise en scène et d’interprétation.

(7) il semblerait que TRIBUS ait restauré des œuvres dans l’église du Bourgneuf-la-Foret, notamment les peintures de la chaire. On croit effectivement y reconnaître les couleurs propres au peintre.

Extrait de la revue 303 n°58 article de JL Cerisier et photos de Bernard Renoux (malheureusement épuisé)
mais consultable sur place à la Bibliothèque de la Bazouge de Chémeré